Expertise

Audition de la Ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles, Sarah El Haïry sur sa feuille de route devant la commission des affaires sociales du Sénat

"Se tenir aux côtés des familles, c’est leur simplifier la vie : leur permettre de trouver un certain nombre de réponses très concrètes mais de construire avec vous une société de plus en plus accueillante dans l’espace public mais aussi dans la vie professionnelle". Le mercredi 6 mars 2024, Sarah El Haïry, Ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles est intervenue devant la Commission des affaires sociales du Sénat pour présenter sa feuille de route dans le nouveau Gouvernement. Retrouvez en ligne, son intervention et ses réponses aux questions posées.

Actualité législative

Le mercredi 6 mars, Sarah El Haïry, Ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles est intervenue devant la Commission des affaires sociales du Sénat pour présenter sa feuille de route dans le nouveau Gouvernement.

« C’est un grand honneur pour moi de vous présenter aujourd’hui ma feuille de route.

Notre action s’inscrit dans la continuité des travaux menés par mes prédécesseurs, Adrien Taquet et Charlotte Caubel, et par les deux assemblées du Parlement. Dans mes précédentes fonctions, j’étais d’ailleurs chargée des dossiers relatifs à la jeunesse : la continuité n’en est que plus grande.

J’ajoute que c’est une force de disposer aujourd’hui d’une vision globale, de la conception de l’enfant jusqu’au début de sa vie adulte en passant par l’adolescence.

Dans la continuité des 1 000 premiers jours, nous nous efforcerons de soutenir la parentalité et d’aider toutes les familles. Selon un récent sondage, 80 % des Français considèrent la famille comme ce qu’ils ont de plus précieux : c’est dire l’importance de ces enjeux.

L’arrivée d’un enfant est bien sûr une grande joie, mais elle entraîne aussi un certain nombre de difficultés, auxquelles nous devons répondre : elles seront au cœur de ma mission. Je pense à l’accueil du jeune enfant, soutenu par la stratégie des 1 000 premiers jours, qui est fondamental ; ou encore aux nombreuses questions liées aux modes de garde, aux congés parentaux et à l’adaptation du temps de travail. Quand les enfants grandissent, d’autres interrogations se font jour et le Gouvernement déploie d’autres initiatives en conséquence, comme le « pass colo » et le service civique écologique. Je n’oublie pas non plus la question de la responsabilité parentale.

Mon portefeuille ministériel couvre tout un parcours de vie, à savoir l’enfance et la jeunesse. Ce parcours est jalonné de relations nouées avec les adultes, qu’il s’agisse des parents et de la sphère familiale élargie, des mondes de l’éducation nationale, de l’éducation populaire ou de la petite enfance. Je n’oublie évidemment pas les éducateurs et les médiateurs, qui accompagnent nos enfants à des moments importants de leur existence.

Cette mission est sans aucun doute l’une des plus belles qu’il m’ait été donné d’accomplir, d’autant que je suis désormais une jeune mère de famille.

En la matière, nous devons faire face à des réalités très difficiles, qui sont aussi au cœur de ma mission. Je pense aux victimes de maltraitances, de violences et d’inceste ; nous continuerons à lever les tabous, pour mieux les défendre. Je pense aussi aux situations où les parents ne sont plus en mesure d’apporter aux enfants ce dont ils ont besoin. Je pense aux MNA et aux jeunes majeurs sortant de l’ASE.

Je souhaite assurer, en leur faveur, la pleine application de la loi Taquet. J’ai d’ailleurs traité de cette question avec le président Sauvadet lors d’une de mes premières réunions de travail. En effet, c’est avec l’appui des départements et de Départements de France que nous pourrons apporter de véritables réponses. Nous relancerons très vite les groupes de travail à cette fin, en veillant à couvrir les réalités territoriales dans leur diversité. Les drames survenus ces derniers jours nous rappellent que cet effort est essentiel.

Je n’ignore pas les difficultés qu’affronte la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Je n’oublie pas non plus les enfants confrontés à des problèmes de santé. Frédéric Valletoux et moi-même veillerons à donner suite aux travaux des assises de la santé de l’enfant. La santé mentale, que nous ne parvenons pas encore à appréhender dans sa globalité, est à ce titre un enjeu essentiel.

L’exposition des enfants aux écrans est un autre sujet important, sur lequel je recevrai très bientôt des conclusions d’experts. Dans ce domaine comme dans les autres, je souhaite lever les tabous sans jamais tomber dans le jugement moralisateur. Il faut avant tout être au côté des parents à l’heure où de nouvelles menaces apparaissent.

Je serai au côté des familles en assurant la mise en œuvre du pacte des solidarités. Malgré les difficultés et les accidents de la vie, on ne doit jamais céder au sentiment de fatalité. À cet égard, la politique de prévention sera également prioritaire.

Protéger les familles, c’est leur apporter un certain nombre de réponses sur la place de tel ou tel de leurs membres, qu’il s’agisse de la fratrie ou des grands-parents.

La délinquance des plus jeunes est un enjeu considérable – on a pu l’observer l’été dernier comme au cours des derniers jours. Comment répondre à ces situations de violence ? Comment accompagner les professionnels ? Étant donné mon périmètre d’action, je relève à la fois de Mme la ministre de l’Éducation nationale – beaucoup de choses se passent à l’intérieur de l’école, sur les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire -, de M. le garde des sceaux – j’entends ainsi m’appuyer sur la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) comme sur les juges des enfants – et, bien sûr, de Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Être au côté des familles, c’est leur simplifier la vie en leur apportant des réponses très concrètes.

C’est construire, avec vous, une société de plus en plus accueillante et juste, dans l’espace public comme dans la vie professionnelle – les écarts de salaires entre les femmes et les hommes persistent, et ils continuent de s’accroître dans certaines situations, par exemple après une maternité.

C’est améliorer encore et toujours le service public de la petite enfance. Pour mener à bien ce magnifique projet, nous accomplirons un travail de proximité avec le bloc communal et intercommunal comme avec les syndicats d’employeurs, pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En parallèle, le congé de naissance, voulu par le Président de la République, permettra une meilleure répartition du temps de congé au sein du couple.

Il ne faut pas fermer les yeux sur cette réalité : nous faisons face à l’effondrement de notre démographie. C’est pourquoi nous entendons mener une politique volontariste en faveur de la natalité, sans jamais porter de jugement moralisateur sur les femmes qui ne souhaitent pas d’enfant. J’y insiste, le premier frein qu’il convient de lever, c’est celui de la garde. Aujourd’hui, les solidarités familiales changent, ne serait-ce que parce que les grands-parents sont plus loin. Or je souhaite mener un projet pour les familles, dans leur diversité et dans leur ensemble.

Mon portefeuille ministériel a une dimension à la fois sociale, éducative et régalienne. Cette triple tutelle a pu être perçue comme un triple contrôle, à tort : je l’ai moi-même souhaitée. Je la conçois comme le moyen de construire nombre de passerelles et, ce faisant, d’assurer un continuum de protection en faveur des enfants.

C’est ainsi que j’entends travailler, avec les professionnels, les élus locaux et les membres des deux assemblées parlementaires. Je mesure l’ampleur de la tâche ; mais, étant à la fois élue d’un territoire et ancienne parlementaire, je ne pars pas d’une feuille blanche. Je suis animée par une volonté d’écoute et de coconstruction, pour apporter un certain nombre de réponses et de moyens aux familles, dans un esprit de continuité.

Telle est la philosophie dans laquelle s’inscrit mon action dans des domaines aussi variés que la lutte contre le non-recours aux droits, le rapport des jeunes enfants aux écrans, la lutte contre l’obésité, la lutte contre l’infertilité, la santé mentale des enfants, la garde d’enfant ou encore la place du périscolaire et de l’extrascolaire, pour les enfants de 3 à 14 ans.

C’est avec pragmatisme que j’entends travailler et je suis évidemment à la disposition de votre commission. »

Des questions ont suivi cette présentation liminaire. Les extraits ci-dessous reprennent principalement les développements sur le congé de naissance ou la politique familiale.

Ÿ Congé de naissance, attractivité des métiers de la petite enfance, Service public de la petite enfance, rapport Igas/Igf à venir sur l’évolution du mode de financement des micro-crèches PAJE

« D’autres travaux se penchent sur les moyens de donner du temps aux jeunes parents, notamment dans le cadre du congé de naissance.

Aujourd’hui, sept pères sur dix prennent leur congé de paternité. Quant au congé de naissance, il a vocation à combler les lacunes de la PreParE, dont toutes les familles ne peuvent pas bénéficier. Compte tenu du coût de la vie, tout le monde ne peut pas profiter de ce temps, qui est pourtant nécessaire à la construction affective de l’enfant. Le congé de naissance sera mieux rémunéré. Sa durée est en cours de discussion. Il ne remplacera pas les congés de paternité et de maternité, il viendra s’y ajouter.

J’ajoute que nous tenons à préserver le libre choix entre PreParE et congé de naissance, dont les possibilités de répartition entre les parents doivent encore être précisées ; les concertations se poursuivent. Mais, pour que le congé de naissance ait du sens, il faut assurer la montée en charge du service public de la petite enfance. C’est bien la question des moyens d’accueil du jeune enfant qui est essentielle. Il faut proposer à toutes les familles des solutions de qualité à des prix raisonnables. Il faut réduire l’écart constaté entre la garde assurée par les assistantes maternelles et les modes de garde collectifs, à commencer par les crèches. On ne saurait prétendre – je le précise – qu’un mode de garde est meilleur qu’un autre. C’est bien dans un esprit de convergence que des réformes ont déjà été menées sur le complément de mode de garde (CMG).

Il convient également de renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance et d’obtenir la mobilisation du bloc communal et intercommunal. C’est absolument indispensable.

Nous disposons, à cette fin, d’une convention d’objectifs et de gestion (COG) d’une ampleur historique : plus de 6 milliards d’euros supplémentaires ont été mobilisés pour permettre le développement du service public de la petite enfance. Mais cette extension ne se décrétera pas. Elle exige d’abord des hommes et des femmes, puis des mesures de soutien. Dans les zones très urbaines, nous agissons en matière de foncier. Ailleurs, nous entendons soutenir les maisons d’assistantes maternelles (MAM). Un certain nombre de travaux sont en cours.

Il faut garder à l’esprit cette réalité démographique : plus de 40 % des assistantes maternelles vont partir à la retraite d’ici à 2030, ce qui représente plus de 300 000 places. Or, aujourd’hui, 200 000 places manquent déjà. Il faut que la nouvelle génération prenne la relève, sinon le service public de la petite enfance ne restera qu’un voeu pieux.

Quant au rapport Igas-IGF, je ne l’ai pas encore reçu, mais cela ne saurait tarder et ce document sera rendu public. J’examinerai ses conclusions avec le plus grand intérêt et pourrai évidemment revenir sur ce point avec vous. »

Ÿ Articulation congé de naissance et PreParE, libre choix

Sur le congé de naissance, les décisions définitives ne sont pas encore prises, car des discussions ont encore lieu – notamment avec les associations familiales. La situation des familles monoparentales est pour moi une priorité, mais il est un peu tôt pour que je vous réponde précisément sur ce point. Je suis à votre disposition pour travailler sur les propositions relatives à la durée de ce congé et à son partage entre les parents.

La question du libre choix est essentielle. Le congé de naissance, dont le modèle serait différent de celui de la PreParE, serait financé par des indemnités journalières. Cela permettra de faire bénéficier les classes moyennes d’un congé de qualité, dont la durée exacte n’est pas décidée. Cette mesure est un progrès, mais elle ne peut avoir de sens que si l’offre de modes de garde est suffisante. Cette conditionnalité est réelle ! Les attributions de places en crèche s’inscrivent dans un calendrier ; j’en ai une expérience toute personnelle. Cette procédure ne cadre ni avec la vie familiale ni avec l’arrivée d’un enfant. Disant cela, je ne mets pas en doute la transparence de l’attribution de places. Il convient aussi d’accompagner les fratries susceptibles de bénéficier d’un mode de garde collectif.

Je souhaite permettre le développement de tous les modes de garde en réduisant les écarts de coût, qui sont un frein pour de nombreuses familles.

La PreParE continuera de constituer une réponse pour les familles qui le souhaitent, mais il nous faut élargir les réponses possibles. »

Ÿ Reste à charge des familles pour les modes de garde, pénurie d’offre d’accueil

« Vous avez raison, le reste à charge est trop important, au point de retarder le retour au travail de certaines femmes. Je tiens aussi à insister sur le problème des disparités salariales lorsque les femmes reprennent un emploi à la suite d’une première maternité. On en revient à la question de l’offre de modes de garde. À cet égard, la revalorisation prévue dans la convention collective des salariés de la petite enfance est une première étape. J’ai la volonté de mobiliser tous les salariés de ce secteur, qu’ils relèvent d’un mode de garde individuel ou collectif. C’est une avancée dans le sens de l’attractivité de ces métiers. »

Retrouver l’intégralité de l’audition de la Ministre sur le site du Sénat

https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240304/soci.html#toc7

https://videos.senat.fr/video.4445919_65e868280e956

Contact : Afficher l'email